A la recherche du bonheur
- Alors que c’était moi qui avais oublié. Que la vie c’est plus court
Que la course au bonheur
La vie c’est quelques jours
La vie c’est quelques heures
Et la fin du parcours me fait peur. Il a fallu qu’je sombre
Pour ne pas me noyer
La vie c’est une seconde
Déjà presque écoulée
Lynda Lemay, Allo c’est moi
Les trois derniers mois ont été plutôt riches en nombreux événements divers, souvent chargés émotionnellement, mais ces mêmes mois ont été paradoxalement plein d’un grand vide épistolaire… parfois le trop-plein nécessite du temps pour être compris, et une période d’incubation est nécessaire à l’éclosion des mots.
Au centre –déjà depuis plusieurs mois– le nœud gordien professionnel dans lequel l’embourbement semble inéluctable : beaucoup de travail et pas de salaire ; le travail en milieu universitaire comporte des facettes contradictoires qui pourraient probablement illustrer à merveille une dispute sic et non. Sans vouloir ici entrer en matière sur le statut du chercheur et de la difficulté à financer une thèse dont le sujet abscond la rend peu populaire bien qu’intéressante et nécessaire, quelques réflexions pêle-mêle sur le travail et le bonheur jetées au vent d’hiver:
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, article 23
1. Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage.
2. Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal.
3. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale.
4. Toute personne a le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
Je ne vais pas entrer en matière ici sur le problème du chômage et sur le point quatre, concernant plus l’organisation sociale, mais créer un patchwork de réflexions à partir des autres points, qui se basent plus directement sur l’anthropologie.
Lorsque la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme affirme le droit –fondamental– de toute personne à un travail, elle affirme le besoin profond qu’a l’homme de travailler, afin de pouvoir s’épanouir et être heureux, en d’autres mots la nécessité pour l’homme, afin d’être pleinement homme, de pouvoir travailler. Ce droit est la base sur laquelle le reste de l’article se fonde: si l’homme doit pouvoir travailler afin de se réaliser, il est alors naturel qu’il puisse choisir son travail, afin qu’il corresponde au mieux à ses capacités, à ses charismes; il est de même important qu’alors les conditions de travails soient équilibrées, ou optimisées, en fonction du résultat que l’on désire obtenir, de même que le fait que tout homme puisse recevoir à travail égal un salaire égal. Cela semble fort raisonnable et presque trop évident.
Le problème fondamental au centre de ma vie «ouvrière» est au noyau du point 3: beaucoup de travail, pas de salaire… écrire une thèse, c’est cinq ans d’une vie passé à travailler d’arrache pied dans un espace inconnu, dans une contrée encore non complètement cartographiée, en ce qui me concerne dans le XIIIème siècle. Pour le vivre personnellement, tout en refusant l’impératif de notre société contemporaine qui veut que l’on existe seulement si l’on peut consommer, je peux vous assurer que travailler pour un diplôme et un livre (ou plusieurs), pour une porte sur le monde universitaire, pour le ticket qui permet de participer à la loterie de l’emploi professoral est une vraie gageure: faites des sciences, on vous offrira moult postes; faites des lettres, on vous moquera et vous passerez le peu de temps libre qui vous reste à courir les concours pour les postes d’assistants ou les bourses. Vous passerez votre temps à courir pour pouvoir, non pas exercer le travail que vous avez choisi et qui emplit votre cœur –vous le faite de toute façon pour votre thèse– mais pour recevoir ce que la Déclaration appelle une rémunération équitable et satisfaisante. Vous passerez votre temps à courir pour rattraper votre bonheur qui s’enfuit… c’est ça, la course au bonheur: l’absence de rémunération pour récompenser votre travail vous empêche d’avoir un appartement décent pour loger votre couple; vous empêche de vous poser, ne serait-ce que quelques temps, ce temps si précieux qui permet de grandir ensemble; vous empêche de réaliser se désir, tellement fondamental, de fonder une famille; vous empêche d’élargir votre horizon vers la plénitude de l’humanité dont on a tant besoin.
Comme une barrière devant le désespoir, comme un main courante pour se retenir le long de la longue descente vers l’exclusion, il y a deux médicaments qui seuls permettent de tenir contre vents et marées, qui donnent la force nécessaire pour passer au travers des multiples vexations, mauvaises nouvelles et refus, pour atteindre le Graal de l’emploi: l’espérance et le sacrifice.
L’espérance donne du sens, non à l’attente –qui est toujours torture–, mais au projet dont la valeur s’amplifie selon la mesure de ce que l’on donne de nous, de notre être, de notre cœur pour notre bonheur. «Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance. Et je n’en reviens pas. Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout, cette petite fille espérance. Immortelle. C’est elle, cette petite, qui entraîne tout. Car la Foi ne voit que ce qui est. Et elle voit ce qui sera. La Charité n’aime que ce qui est. Et elle aime ce qui sera.» (Charles Péguy, Le porche de la deuxième vertu).
Le sacrifice donne du poids, non à l’attente –qui est toujours torture–, mais au projet dont la valeur s’amplifie selon la mesure de ce que l’on donne de nous, de notre être, de notre cœur pour notre humanité. «Celui-là seul comprendra ce qu’est un domaine, qui lui aura sacrifié une part de soi, qui aura lutté pour le sauver, et peiné pour l’embellir. Alors lui viendra l’amour du domaine. Un domaine n’est pas la somme des intérêts, là est l’erreur. Il est la somme des dons» (Antoine de Saint-Exupéry, Pilote de guerre).
L’espérance n’est que vent creux si le sacrifice n’est pas là pour l’ancrer dans notre terreau de vie. Le sacrifice n’est que résonnance vide si l’espérance n’est pas là pour le projeter dans le futur. L’un et l’autre s’entrelacent pour mieux vivre, pour mieux faire vivre. Afin de survivre à la course au bonheur, afin de gagner le prix tant convoité, n’oubliez pas vos énergisants! rien ne se gagne sans effort, rien ne nous grandit sans que l’on y laisse quelque chose de nous, c’est le prix à donner pour gagner la course au bonheur.
- L’absurde bonheur
Je crois parce que c’est absurde
-   Ô maître explique-moi!
-   Je l’ai créée parfaite, et lui ai mis un défaut pour qu’elle s’attache à toi.
-   Et à moi?
-   Je t’ai mis un défaut pour que tu la fasses souffrir.
-Â Â Â Mais pourquoi?
-   Pour qu’elle te crée une nouvelle âme et s’en crée une aussi que vous n’imaginez pas.
-Â Â Â Mais comment?
-   Le mal vécu l’un par l’autre, l’un pour l’autre, multipliera infiniment tout ce que vous êtes quand vous aurez compris.
-Â Â Â Mais encore comment?
-   Par votre réponse à vous-mêmes. Vous serez devenus l’autre en supportant ce mal d’aventures. Il suffit que l’un le souhaite : les vies seront échangées.
-Â Â Â Mais nous mourrons?
-   C’est votre offrande.
-   Maître, tu es le diable. Les défauts que tu ouvres en nous ouvrent l’enfer.
-   Tu subis l’épreuve du feu. Je suis un artiste comme toi.
-   Que doit attendre l’artiste?
-   La liberté ne te fait pas peur? Tout. Pas un fruit ne sera fade ensuite pendant l’éternité.
Maurice Chappaz, Le livre de C.
One Reply to “A la recherche du bonheur”
Lovely picture at the top there. The trees look so calm and at peace. Keep up the good blogging! Merci.